La société souletine à la fin du Moyen-âge
Premier regard
« Avant le XIVe siècle, l’information sur l’habitat souletin est rare et très limitée dans les documents conservés et connus[J.B. Orpustan]. » Il est pourtant bien clair que les trois étages de la société (maison, paroisse, vallée) sont déjà en place depuis longtemps et que leurs articulations sont bien rodées.
Comme nous l’avons vu, les maisons étaient regroupées en communautés paroissiales serrées autour de l’église et implantées dans les zones cultivables à portée des collines (Saltus) dont les ressources (bois, gibier, pâturages…) étaient le complément indispensable de celles de l’Ager où elles étaient installées.
La hiérarchisation économique et sociale était en place depuis plusieurs siècles. Elle était surtout seigneuriale, car la Soule n’avait pas la « masse critique » permettant la création d’une hiérarchie féodale complète. De plus, le poids politique et économique des monastères avait accentué ce phénomène en limitant la puissance des maisons nobles qui n’avaient pas assez de fiefs à distribuer à leurs vassaux pour assurer leur pouvoir.
Les grandes seigneuries extérieures dominaient la vallée et leurs querelles divisaient la noblesse locale. Les luttes des Luxe-Beaumont et des Gramont, familles navarraises rivales, vont entraîner les nobles souletins dans leurs guerres pendant plus de deux siècles (XVe et XVIe siècles), prenant ainsi la suite des divisions provoquées par les rivalités entre les héritiers de la Vicomté de Soule et les partisans du royaume de Navarre.
L’importance des ressources collectives ne pouvait que favoriser le contre-pouvoir des communautés paroissiales et leur regroupement en unités hiérarchisées et structurées pour la défense de leurs intérêts. Enfin, la Soule, assise entre deux chaises, résistait comme toujours grâce à un jeu de bascule entre les puissances politiques qui se la disputaient et les circonscriptions religieuses qui se l’arrachaient.
Statut des terres
La notion de propriété dans l’ancien régime était infiniment plus complexe que celle issue du Code civil napoléonien : c’était un assemblage de droits et de contraintes qui maintenait un équilibre instable entre les droits des uns et des autres. Je ne vais donner ici que les titres de chapitres et je vous renvoie au livre pour plus de détails
Terres allodiales et terres affiévées
Un alleu était une terre possédée en toute propriété ; elle n’était donc théoriquement soumise à aucune redevance seigneuriale autre que la dîme.
Propriété éminente, propriété utile et droit d’usage
Par des affièvements, le seigneur transfère la propriété utile à une communauté ou à un particulier, tout en s’en réservant la propriété éminente.
La jurisprudence n’a jamais tranché entre la position du prince ou du seigneur (« pas de terre sans seigneur ») et celle des communautés ou des maisons (« pas de seigneur sans titre »).
Terres communes et communautés : droit d’usage sans affièvement
Labaki
Un membre de la communauté paroissiale avait le droit de défricher une parcelle (labaki) prélevée sur les terres communes, de la clôturer et de l’exploiter pendant 4 ans à condition de la restituer aux troupeaux de la communauté à la fin de cette période.
… dans la réalité, le seigneur et la communauté en arrivaient à une cogestion de fait passant par des périodes conflictuelles suivies d’un accord qu’il faudrait renégocier quelques décennies plus tard.
Droit de clôture et droit de parcours
À cette trilogie traditionnelle (propriété éminente, propriété utile, droit d’usage), je rajouterai le droit de clôture qui marque des différences importantes dans le statut des parcelles.
L’essentiel du terroir paroissial était constitué par les terres communes. Le libre accès des troupeaux était la règle, la clôture l’exception.
Etxea : Le pilier de base

©Mathilde Bétachet
Statut des maisons
Les maisons souletines sont classées en fonction de leur statut : maisons nobles, maisons franches, et maisons fivatières ou botoys.
Au sommet, les maisons nobles ont elles-mêmes des statuts différents. Les plus importantes dans les hiérarchies féodales et seigneuriales sont les 10 potestats dont j’ai déjà parlé. Leurs devoirs de conseil et d’assistance au prince – représenté par le capitaine-châtelain de Mauléon – sont plus contraignants. En contrepartie, ils jouissent aussi de privilèges dont le plus connu est le droit de pouvoir introduire des troupeaux supplémentaires dans les estives souletines./
Au sommet, les maisons nobles ont elles-mêmes des statuts différents. Les plus importantes dans les hiérarchies féodales et seigneuriales sont les 10 potestats dont j’ai déjà parlé. Leurs devoirs de conseil et d’assistance au prince – représenté par le capitaine-châtelain de Mauléon – sont plus contraignants. En contrepartie, ils jouissent aussi de privilèges dont le plus connu est le droit de pouvoir introduire des troupeaux supplémentaires dans les estives souletines.

© Philippe Etchegoyhen
Devoirs et redevances
Il faut observer que les devoirs des etxe étaient très variables, quel que soit leur statut. Maisons franches soumises à des redevances parfois très importantes, maisons fivatières bénéficiant de conditions très favorables. Le contrat initial était déterminant. Un seigneur qui voulait mettre en valeur ses terres incultes pouvait attirer les familles en leur offrant des avantages intéressants. Quand la guerre ou la maladie avaient ruiné ses paroisses, le seigneur consentait des privilèges aux nouveaux arrivants qui acceptaient de s’y installer.
Il n’y avait pas de serfs en Soule ; la servitude, même si elle a pu exister, semble avoir disparu avant la fin du XIIe siècle. Certains auteurs pensent que les habitants des maisons de Barcus appelées pasters gardaient des traces de servitude, mais cela est loin d’être certain.
Stabilité des vieilles maisons
La fondation des maisons constituant le noyau initial des vieilles communautés paroissiales se perd dans la nuit des temps. Elles sont entrées tout armées dans l’Histoire.
Les centres des villages d’origine sont restés très stables depuis les premiers documents fiscaux.
Évolution des maisons
La permanence des vieilles maisons ne doit pas faire illusion ; leur stabilité n’est pas due à la solidité et à l’immobilité du rocher, mais à une adaptation constante et à des évolutions permanentes.
L’Etxe évolue à la manière d’un être vivant en changeant lentement, mais constamment. Son immuabilité apparente ne vient que de la lenteur des changements, pratiquement imperceptibles à notre échelle. L’unité de temps n’est pas la journée, ni même l’année ; c’est la génération.
Des bordes aux maisons : formation de nouvelles maisons et de hameaux
Là où l’étendue et la nature du territoire le permettaient, une parcellisation seigneuriale des terres communes a entraîné la colonisation de l’ensemble du terroir par des affiévements accordés aux vieilles maisons pour y installer des bordes.
Le village d’Aussurucq comporte un hameau dont chaque habitation porte le nom d’une ferme de la paroisse avec le suffixe borde. À la maison Arhanzeta correspond Arhanzetaborda, à Jeta correspond Jetaborda, à Abehera (Arabehera) correspond Abeheraborda (Arabeheraborda) etc.

Le quartier Üxia d’Aussurucq
Le village d’Aussurucq comporte un hameau dont chaque habitation porte le nom d’une ferme de la paroisse avec le suffixe borde.
À Arhanzeta correspond Arhanzetaborda
À Jeta correspond Jetaborda,
À Abehera (Arabehera) correspond Abeheraborda (Arabeheraborda) etc.
Les communautés paroissiales
La paroisse comme communauté de gestion des terres communes
La communauté n’est pas seulement un groupe de maisons serrées autour de l’église sous la protection et l’autorité du seigneur, sa raison d’être essentielle est la gestion des communaux. « Prise comme organe de gestion des communaux, il n’y a pas d’autre mot que communauté [Anne Zink]. »
Chaque etxe participe aux réunions et prend part aux décisions. À peu près tout se fait oralement et la relation écrite de ces délibérations n’existe que quand les choses se passent mal et réclament l’intervention d’autorités extérieures (seigneur, Cour de justice de Licharre).
La paroisse et le seigneur
J. M. Barandarian indique que le premier habitat du Pays basque fut un habitat dispersé. Nous avons vu que ces petits clans familiaux éparpillés ont été regroupés autour de l’église, construite (ou reconstruite) à l’époque romane, sous la protection du seigneur et sa domination.
L’encellulement des maisons a permis au château de dominer les communautés et de les exploiter dès le IXe siècle. Il a souvent accaparé la dîme et s’est arrogé le droit de présentation du desservant (curé de la paroisse).
Le seigneur avait en général un droit de justice sur ses fivatiers et ses botoys. Les plus puissants avaient des attributions plus étendues dans ce domaine, ce qui représentait un revenu non négligeable.
La Communauté paroissiale, le cimetière et l’église
La Coutume de Soule de 1520 avait un objectif bien précis : regrouper et fixer les règles ancestrales qui organisaient la vie en commun de ce petit pays. L’église et le cimetière, les rites funéraires et leurs règles étaient fixés depuis longtemps ; la Coutume n’en parle pas, car c’est un document à visée juridique. Pourtant, dès le début de la période suivante, elles vont apparaître comme des habitudes ancestrales aussi respectées que les règles fixées par la Coutume.
Gazteak, la communauté des jeunes
Il y a une communauté dont nous ne savons directement rien, c’est celle des jeunes de chaque paroisse. Pourtant, nous la retrouverons dans le tome 2 et nous tenterons d’évaluer son importance et son influence.
Cette communauté n’est pas sortie tout armée du néant ; elle plonge ses racines dans les profondeurs de notre passé et sa formation doit remonter au moins à celle des paroisses.
Ce groupe pourra être mieux cerné à partir du XIXe siècle. Soulignons pourtant dès maintenant son rôle essentiel dans toute l’aire de la civilisation pyrénéenne et en particulier au Pays basque.
Remarques et conclusions
La Soule de cette époque est un « Païs » déjà bien en place depuis longtemps. Elle s’appuie sur une identité forte.
L’etxe en est le socle et évolue lentement mais sûrement. Les noyaux paroissiaux sont déjà stabilisés et la création de nouvelles maisons se poursuit pour former des hameaux parfois éloignés.
Les communautés paroissiales fonctionnent bien et ont atteint leur régime de croisière. Les relations entre la communauté de vallée, les seigneurs et le représentant du Prince ont trouvé un bon équilibre malgré les rivalités et les conflits secouant parfois durement le pays.
Quelques nouvelles paroisses se créent sous l’impulsion de puissants seigneurs, mais pour l’essentiel tout est déjà installé.
Malgré son immobilité apparente, la société souletine évolue lentement et s’adapte constamment.

Pour les curieux … vous trouverez dans le livre…
D’autres détails sur tous les points de ce chapitre.
Je n’ai fait que survoler ici des points que j’ai détaillé davantage, en particulier les notions d’affièvement, de propriété utile et de droit d’usage.
De même, je n’ai pas détaillé ici le statut des maisons et leur évolution.
Vous pouvez aussi y trouver des détails sur la formation de hameaux et de paroisses (Larrau, Esquiule…)
Je n’ai pas repris non plus les règles de succession vues par la Coutume de Soule