Les communautés souletines à la veille de la Révolution
© Philippe Etchegoyhen
En guise de conclusion, je vous propose quelques notes pour faire un état des lieux sommaire à la veille de la Révolution qui allait bouleverser le cadre de fonctionnement des communautés, les obligeant à de profondes transformations.
Les communautés paroissiales : solidarités et tensions internes
La vigoureuse reprise démographique amorcée dès le XVIe siècle a été absorbée jusqu’à la fin du XVIIe siècle par l’installation de nouvelles maisons sur les terres communes. Le seigneur affiévait des terres aux anciennes maisons. Celles-ci y créaient des « bordes bordar » sur lesquelles elles installaient des cadets. Cette parcellisation seigneuriale existait depuis des siècles.
Au XVIIe siècle, il y a encore des espaces à conquérir pour y installer de nouvelles maisons, mais certaines paroisses de la vallée moyenne sont déjà saturées et doivent se protéger de leurs propres cadets, en particulier par la création des elge.
Ces tensions vont s’accentuer partout au cours du XVIIIe siècle. Les maisons déjà installées (les vieilles maisons), ne veulent plus de nouvelles installations. Les hameaux éloignés veulent profiter du champ commun que s’étaient réservé les anciennes maisons du noyau paroissial (c’est par exemple le cas à Larrau).
La paroisse retrouve pourtant son unité face au seigneur. Elle résiste durement à ses tentatives de néo-féodalisation et aux empiètements des communautés voisines ; en cas de besoin, elle nomme un syndic chargé de défendre ses intérêts auprès de l’intendant ou éventuellement en justice. Celle-ci coûte cher et les parties préfèrent souvent en passer par l’arbitrage de l’intendant ou de son délégué.
Communautés, terres communes et routes
Les terres communes des paroisses vont être, au XVIIIe siècle, un nouveau foyer de tensions internes dans la plupart des communautés. Fallait-il les garder ? Les vendre ? Les partager ?
Les plus riches étaient partisans de la vente des terres, les plus pauvres étaient beaucoup plus réticents ; ils auraient accepté le partage à la condition que les lots soient égaux, alors que les gros laboureurs souhaitaient une attribution proportionnelle à l’importance des maisons.
Les communautés envisagèrent des ventes pour construire ou améliorer les routes, car il y avait un réel désir de désenclavement, aussi bien chez les habitants que dans l’administration royale. La corvée royale, peu efficace pour l’entretien des chemins, avait été remplacée par une taxe pesant lourdement sur les habitants qui réclamaient le retour à l’ancien système. La vente permettait de construire des routes sans imposer de nouvelles taxes, mais elle présentait aussi des inconvénients majeurs.

© Philippe Etchegoyhen
Au cours du XVIIIe siècle, le désenclavement des paroisses est un objectif essentiel pour le pouvoir royal et les communautés. Il devient même parfois prioritaire par rapport à la conservation des terres communes. Leur vente devient acceptable aux yeux de tous si elle permet de financer la construction des routes.
Mais cela ne va pas sans créer de nouvelles difficultés.
Communautés et monastères
Le temps des monastères est révolu. Ils gardent encore des possessions, mais leur aura a disparu. Les communautés de Larrau et de Sainte-Engrâce renégocient et arrachent de nouvelles conditions plus favorables, tant au niveau des estives que des terres de leur communauté.
L’évêque réussit à récupérer les revenus de Leire sur Sainte-Engrâce pour les affecter au séminaire d’Oloron. Au terme de procès interminables, celui de Bayonne, avec l’appui des autorités civiles, réussit à arracher Ordiarp à Ronceveaux pour affecter les revenus de la commanderie à l’hôpital de Mauléon.
Les communautés, le Seigneur et le Prince
Durant tout le XVIIIe siècle, les tentatives de reconquête nobiliaire se heurtèrent aux communautés paroissiales, et plus particulièrement aux anciennes maisons et aux nouveaux notables. Les querelles de préséance s’ajoutaient aux contestations fiscales et juridiques. Dans le même temps, le repli de la noblesse sur elle-même et la réforme du Sylviet de 1730, qui conduisit à la quasi-disparition de son rôle politique, accentuèrent les divisions au sein de la société souletine. Il est vrai que la lourdeur du système traditionnel avait réduit l’attachement des communautés à cette assemblée du tiers état. La contestation prit d’autres formes.
C’est de la proximité avec le prince ou ses représentants que le seigneur tire maintenant fortune, honneurs et puissance. Il se met donc au service du capitaine-châtelain qui distribue offices et bénéfices.
Depuis longtemps déjà, le pouvoir monarchique domine tous les autres.
La noblesse et le clergé maintiennent leurs privilèges comme ils peuvent face au tiers état. Les coûteux recours judiciaires ruinent nobles et communautés qui préfèrent donc s’adresser à l’intendant pour obtenir un arbitrage.
Et les femmes dans tout cela ?
La documentation directe concernant la situation de la femme en Soule est à peu près totalement inexistante pour la période allant jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.

© Collection privée
Les femmes ont très certainement joué un rôle important dans la gestion des maisons dont elles étaient les héritières. On en retrouve la trace dans quelques procès ou actes juridiques. Participaient-elles aux assemblées paroissiales ? Sans doute pas, car on ne les retrouve pas dans la documentation existante ; les etxe étaient représentées par l’un des Etxekojaun. Mais le poids de l’héritière de la maison était tel que le mari, s’il n’était que conjoint adventice (Kanporotik jinik)[1], devait tenir compte des instructions de la maîtresse de maison qui en était l’héritière, sans compter le poids de ses beaux-parents (Etxekojaun zahar[2]) coseigneurs de l’etxe.
Dans les maisons nobles, les femmes conservaient leurs droits, car la noblesse était souvent personnelle dans ces familles. La baronne de Chéraute demande, elle-même et en son nom, l’installation d’un haut-fourneau, ou l’autorisation de vendre des terres communes à la fin du XVIIIe siècle.
La Soule n’est pas un isolat dans le monde pyrénéen et encore moins dans le Pays basque ; nous pouvons donc prendre le risque de supposer que la situation et le rôle de la femme étaient très proches de celui des femmes de la région.
Les procès en sorcellerie, qui visaient essentiellement (mais pas exclusivement) les femmes donnent des pistes dans ce domaine. Pour reprendre en main les populations qui avaient grignoté quelques avantages, les puissances politiques locales s’attaquaient aux femmes pour remettre tout le groupe au pas. Il faut remarquer aussi que l’on retrouve souvent les femmes parmi les meneurs de révoltes populaires. Il semble bien que, pour soumettre les communautés, il fallait s’attaquer aux femmes, détentrices de savoirs et en particulier de celui de guérir, ce qui souligne leur importance et leur influence réelle au sein des groupes paroissiaux.
Cependant, certains éléments laissent supposer que la femme pyrénéenne – et donc la femme basque en général et la souletine en particulier – bénéficiait d’un statut plus favorable et de conditions privilégiées par rapport aux autres régions. Le fait de pouvoir être héritière dans la plupart des maisons souletines lui donnait un poids statutaire important.

© collection privée
Les très belles chansons d’amour souletines de cette époque (fin de l’Ancien Régime) sont un indicateur peu fiable. L’amour courtois chanté par les troubadours n’empêchait pas les pires exactions lors des guerres féodales ; les femmes étaient les premières victimes des viols, massacres et violences de toutes sortes qui accompagnaient ces guerres.
Le seigneur ému par les chansons du troubadour n’hésitait, pas le cas échéant, à se débarrasser de sa femme par les moyens les plus ignobles et les accusations les plus mensongères pour préserver ses intérêts. Les belles chansons d’amour n’ont malheureusement jamais protégé les femmes de la violence des hommes.
La femme était-elle plus libre et moins opprimée dans les Pyrénées en général et au Pays basque en particulier ? Certains éléments semblent l’indiquer, mais ne nous avançons pas trop dans ce domaine. Pour en revenir à la Soule, je crois que c’est l’accumulation des handicaps qui a déterminé le degré d’oppression de la femme.
L’héritière d’une bonne maison, mère d’un fils qui allait hériter à son tour et pourvue d’un fort caractère, était une femme plus oppressive qu’opprimée. L’épouse adventice d’un héritier pouvait devenir le souffre-douleur de toute la maisonnée.
Les filles pauvres sans défense, placées très jeunes comme domestiques, étaient les plus vulnérables. Obligées de céder à la convoitise des hommes pour ne pas mourir de faim, elles finissaient souvent misérablement dans des habitats précaires (bordes, granges et cabanes diverses). Elles étaient fileuses et leurs enfants, souvent déclarés « de père inconnu », avaient peu de chances de s’en sortir mieux qu’elles.

Pour les curieux… vous trouverez aussi dans le livre :
* Correspondance du délégué avec l’intendant qui donne des exemples concrets.
* Communautés et partage des terres (exemples).
* Conflits entre les communautés et le Seigneur lors de la vente des terres communes.
* Mariages et politiques matrimoniale des etxe. J’ai longuement traité ce point à partir de 12000 contrats de mariage enregistrés chez les notaires souletins entre 1650 et 1800. De nombreux tableaux figurent dans le livre.
* etc.