Cadre géographique et divisions administratives de la Soule (XVIe / XVIIIe siècle)

©Mathilde Bétachet


Divisions administratives de la Soule avant la Révolution de 1789

Il y avait donc en Soule trois messageries, partagées en sept dégairies, elles-mêmes divisées en paroisses. S’y ajoutaient la ville royale de Mauléon, siège du représentant du prince et le bourg royal de Barcus.
Le capitaine-châtelain nommait un messager pour chaque messagerie ; celui-ci était chargé de transmettre informations, convocations et consignes, soit directement aux nobles, soit aux dégans qui avaient la charge de les faire parvenir à chaque représentant de paroisse, division administrative de base.

divisions administratives de la Soule en 1789

© Philippe Etchegoyhen

Les dégairies correspondent à des unités locales de gestion de ressources communes diversifiées regroupant des zones de collines et des pâturages de plaine, le tout dans un périmètre assez réduit pour les rendre accessibles aux hommes et aux troupeaux dans leurs déplacements quotidiens.
Il y a dans chacune d’entre elles une vie et une culture locale ; je pense en particulier à la personnalité culturelle d’Ibar Esküin (Val Dextre) aussi marquée que celle de grosses bourgades comme Barcus, Larrau ou Sainte-Engrâce qui constituent à elles seules des entités originales qui recouvrent assez exactement ces divisions administratives.

Orientation géographique locale
Le Val-Senestre désigne la rive droite du Saison et le Val-Dextre est situé sur sa rive gauche. Cette inversion par rapport à notre espace géographique actuel, vient du fait que nous nous orientons par rapport au nord, tandis que les Souletins s’orientent par rapport au Sud. Après tout, jusqu’à la fin du Moyen Âge, l’orientation se faisait par rapport à l’orient (est). Nos églises sont « orientées » d’est en ouest, l’autel étant situé à l’est.


En arrière-plan de ces divisions administratives de la Soule, on trouve, bien sûr, l’action des puissantes familles seigneuriales souletines ou extérieures à la Soule, mais aussi celle des communautés de voisins. Ces unités tiennent compte de la géographie et sans doute aussi de l’histoire de ces collectivités.

Zones géographiques

© Philippe Etchegoyhen

Les divisions administratives ne correspondent pas toujours à la géographie ; c’est le cas pour la Basse-Soule, car le Pettar, qui couvre la zone nord de la province, est une mosaïque de paroisses aux caractéristiques diverses.
Si la dégairie de Laruns est au cœur de la Soule, celles de Domezain et d’Aroue sont tournées vers le pays d’Amikuze. D’Ainharp à Osserain, elles descendent vers la vallée du Saison à l’est et vers la dépression de Saint-Palais au nord et à l’ouest. Elles font bien partie de la Soule comme en témoignent le style des maisons et la toponymie, mais leurs paroisses, avec leur noyau central très réduit et les fermes dispersées sur tout le terroir ont plutôt des caractères bas-navarrais.
La carte ci-dessous indique, pour la Soule, trois zones distinctes : la vallée du gave qui figure ici en jaune, les collines périphériques essentiellement situées à l’est, et les montagnes d’estive au sud et au sud-ouest de la province.

Les petites paroisses de la vallée du gave se sont installées en premier. L’exigüité de leur territoire a rapidement bloqué leur développement.
Les paroisses les plus vastes ont continué à s’étendre par le processus classique de l’affièvement seigneurial, la création d’une borde et sa transformation en etxe, ce qui a abouti à la constitution de hameaux parfois éloignés du noyau paroissial.

Les limites des communautés

Une bibliothèque entière ne suffirait pas à faire un relevé exhaustif de toutes les contestations concernant ces limites ; donnons donc quelques petits repères. Après quelques rappels concernant l’Etxe, le livre détaille, à titre d’exemple, les conflits qui ont opposé pendant plusieurs siècles, communautés et seigneurs de la zone frontière des Arambeaux et de Larreja. D’autres conflits ont pu exister, car chaque limite a son histoire.

Les limites de l’etxe

Elles sont relativement faciles à déterminer et à contrôler dans la mesure où chacun connaît les limites et le statut des terres de toute la communauté paroissiale.
Chaque parcelle était bornée par une marque appelée « zedarria » enterrée à chacun de ses angles ou par un fossé creusé qui la délimitait.
Les limites des tuyas et fougeraies des collines étaient rarement en ligne droite ; les bornes enterrées ne suffisaient pas et il fallait les compléter par des fossés qui les délimitaient. Ceux-ci n’étaient pas mitoyens, ils appartenaient à celui vers lequel la terre du creusement était rejetée. En effet, si un bel arbre poussait dans le fossé, il était important de savoir quel était son propriétaire.

L’arbre de la discorde
Dans les années 1960, mon père se prépare à couper un petit chêne sans valeur placé à deux mètres de la limite pour en faire du bois de chauffage.
Le voisin le prévient qu’il va porter plainte si cet arbre est abattu, car ses racines viennent aussi se nourrir sur sa parcelle et qu’il a donc des droits sur lui.
Pour ne pas avoir d’histoires avec un tel procédurier, mon père a renoncé… et le chêne leur a survécu à tous les deux.

Limites entre communautés : (Barcus, Chéraute, Josbaig, Hôpital-Saint-Blaise

Les choses se compliquent à ce niveau, car les limites entre paroisses sont beaucoup plus incertaines. En principe, la frontière suit la ligne de crête qui sépare deux territoires ou le cours d’une rivière, mais ce n’est pas toujours le cas. Les limites des communautés coupent souvent des zones de terres communes et sont donc des sources de guérillas interminables.
Dans ce domaine, chaque communauté a son histoire, ses luttes et ses rancœurs. Je me contenterai de signaler un exemple étudié dans le livre : celui des limites entre Chéraute (les Arambeaux), Barcus, l’Hôpital-Saint-Blaise et les communes béarnaises de la vallée de Josbaig.

Conflit limites : communes concernées

© Philippe Etchegoyhen

La frontière entre ces paroisses n’est pas fixée par une crête ; il n’y a pas de « frontière naturelle », des repères assez artificiels tels que des ruisseaux ou les fossés en tiennent lieu. De plus, les quartiers mitoyens des Arambeaux et de Larreja sont rattachés à des seigneuries différentes et parfois concurrentes : l’abbaye laïque de Barcus dont le seigneur, à l’époque qui nous intéresse, est le puissant marquis de Monein, tandis que les Arambeaux dépendent du baron de Chéraute. D’autres voisins interviennent : les communautés de la vallée de Josbaig veulent conserver leurs parcours et, si possible, avoir accès aux vastes étendues désertes du bois de Chéraute. Ajoutons à cela la proximité de l’Hôpital-Saint-Blaise, dont le prieur est en conflit constant avec le baron de Bela.

Limites communautés et zones de conflit

© Philippe Etchegoyhen

Dans la première moitié du XVIIe siècle, les maisons installées dans la partie sud de Larreja (Barcoïsbide, Arhia, Malingo, Ibarrondoa, Bettan, etc. ont créé deux champs collectifs ou elge sur les terres communes de Larreja et des Arambeaux, suivant en cela la plupart des villages de Soule. Le baron de Chéraute ne s’y est pas opposé jusqu’au jour où, vers la fin du siècle, ces fermes de Larreja ont décidé « spontanément » de rejoindre la paroisse de Barcus en même temps que certaines maisons de l’Hôpital-Saint-Blaise.
Quel fut le rôle du seigneur de Barcus dans cette affaire ?
Toujours est-il que le baron a vigoureusement réagi ; il leur signale que, puisqu’ils ont choisi Barcus, les accords précédents sont caducs et qu’ils n’ont plus droit aux pâturages communs de Chéraute. Et pour bien montrer sa détermination, il construit son Jauregi en 1698 au beau milieu du territoire dont profitaient jusque-là les maisons de Larreja, creuse des fossés pour délimiter ses terres et plante une grande quantité de pommiers. Ses adversaires (Barcoïsbide, Arhia, Malingo) seront traduits en justice pour les méfaits déjà cités.
D’où procès et condamnations, puis reconstruction du Jauregi et, semble-t-il, une occupation rapide du territoire par de nouveaux arrivants. Le nom de certaines maisons (Puyau, Capdepont), pourrait indiquer l’arrivée de familles gasconnes.
Puis, tout au long du XVIIIe, le baron a organisé la colonisation de ce territoire, colonisation qui s’est poursuivie au début du XIXe siècle par l’installation de fermes sur tout le versant ouest jusqu’aux crêtes qui le dominent : Ahargo, Chantia, Mozo, Garaxia, Motohandi.

Le quartier Arambeaux-Larreja, rattaché à deux paroisses n’est pas un cas unique ; il y a au moins trois autres quartiers périphériques de ce type : le hameau Alçay-Lacarry au fond de la vallée de l’Aphurra, celui de Garaïbie partagé entre Aussurucq et Ordiarp et celui de Lambarre éclaté entre plusieurs communes. Ils ont chacun leur histoire. Leur identité a sans doute été renforcée par la création d’écoles qui ont fonctionné pendant plusieurs décennies avant de fermer dans la seconde moitié du XXe siècle.
Garaïbie est signalée au XIVe siècle en tant que paroisse, mais a perdu ce statut. Le hameau présente une forte identité malgré la variété des situations de rattachement aux deux communes et à leurs cimetières. De même, les habitants de Lambarre revendiquent en premier leur appartenance au quartier. Ils ont leur propre comité des fêtes et la vie collective est très animée. Ils ont monté une pastorale au début du XXe siècle.

Les frontières des seigneuries et des états sont nettes et brutales, celles des communautés sont progressives et fonctionnelles ; elles sont vivantes et doivent être entretenues par des conventions de voisinage. Elles donnent souvent lieu à des conflits intercommunautaires

Communautés souletines tome 1 Des origines à la révolution

Pour les curieux … vous trouverez dans le livre


D’autres détails sur tous les points de ce chapitre.
* Les dégairies et les messageries : détails sur leurs limites et leur fonctionnement
* Quelques éléments géographiques sur la vallée
* Les conflits concernant les limites des communautés et le peuplement de la zone sont détaillés dans le livre