La Soule du XVIe au XVIIIe siècle. Vue d’ensemble sur la période

©Mathilde Bétachet


Le douloureux XVIe siècle

Les trois siècles qui couvrent cette période présentent des caractères différents et je les ai donc, survolés chronologiquement pour une vue d’ensemble. Cependant, un découpage thématique s’est avéré indispensable pour parler d’un certain nombre de sujets et suivre leurs transformations dans la durée.

L’accumulation des malheurs

Ce siècle a été marqué par les guerres. Guerres liées à la conquête de la Navarre par la Castille et l’Aragon, Guerres de Religion, avec en arrière-plan les rivalités des grandes familles (Luxe-Beaumont contre Gramont) qui poursuivaient leurs querelles du passé. Elles se rangeaient bien sûr dans les camps opposés et la Soule ne pouvait donc pas échapper aux malheurs de la guerre, aux destructions et aux famines. Même le gave se mit de la partie et ajouta ses dégâts à ceux de la guerre des hommes.
Je n’entrerai pas dans le détail de ces événements, et ne les signale ici que comme éléments du décor dans lequel les habitants ont lutté pour vivre ou survivre.

Les guerres importées de la péninsule ibérique

La Soule ne pouvait pas échapper à la guerre de conquête de la Navarre voisine par les Rois Catholiques. Enclavée au milieu des belligérants avec lesquels elle avait de fortes et anciennes relations, elle subit de nombreuses exactions et des dommages importants. Le passage des armées, leurs pillages et destructions, sans compter les maladies apportées par les soldats et les famines qui ont obligé des habitants à se réfugier en Aragon, ont durement touché la vallée.

Les famines et les inondations

Le journal de Pierris de Casalivetery ne signale pas d’épidémie pendant le XVIe siècle ; il évoque seulement le souvenir d’une « peste » qui toucha la Soule en 1463, épidémie dont ses grands­-parents lui avaient parlé.

Par contre, il signale une famine qui dura de 1524 à 1533 ; il y eut donc plusieurs crises alimentaires graves pendant cette période. Dans quelle mesure la guerre fut-elle responsable – partiellement ou en totalité – de cette série de famines ?
Le gave lui-même, ce torrent capricieux qui causait tant de soucis aux communautés, se mit de la partie ; le journal fait état des graves dommages dus aux inondations de 1541.

Les guerres de religion

Enclavée dans les possessions de Jeanne d’Albret, la Soule ne pouvait que difficilement rester en dehors du conflit. Les notables souletins et plus particulièrement les notables mauléonais choisirent très tôt le camp de la Réforme dans leur grande majorité, mais une minorité parmi eux demeura fidèle à la religion catholique. Ces choix étaient souvent guidés par des intérêts politiques ou par des rivalités très anciennes (les chefs de clans comme les Luxe-Beaumont et les Gramont avaient bien entendu rejoint les partis opposés ; ils entraînèrent dans leur sillage la plupart de leurs alliés).
Dans l’ensemble, la population resta fidèle au catholicisme, même si de petites communautés huguenotes se créèrent dans les villages : à Montory, village limitrophe du Béarn, tout comme à Sauguis, Mauléon, etc.
La longue litanie de poursuites, de procès, d’abjurations et d’emprisonnement toucha surtout les grandes familles de notables, parfois elles-mêmes divisées, mais ne semble pas avoir affecté la population en général ; pourtant, les troubles prirent une autre dimension dans les années 1560.

La résilience souletine

Dans quelle mesure ce siècle agité et violent a-t-il bouleversé la société souletine ? Elle a certes beaucoup souffert par moments, sans pour autant avoir été mise en danger dans son essence. Elle a sans doute fait le gros dos pour limiter les dégâts, tout en gardant ses structures au niveau communautaire. Le journal de Pierris de Casalivetery donne l’impression d’une communauté qui poursuit son chemin malgré les accidents (guerres, épidémies, etc.) qui la perturbent sans l’atteindre profondément.

L’etxe se reconstruit et s’adapte

On sait peu de choses des constructions antérieures au XVIe siècle ; sans doute des maisons basses, plus ou moins grandes selon la fortune des propriétaires, couvertes de chaumes ou de bardeaux. Ces constructions légères et mal commodes dans lesquelles s’entassaient les familles étaient fragiles. Le bois et surtout les toitures en chaume demandaient beaucoup d’entretien et brûlaient trop souvent. Lors de leur reconstruction dans les paroisses dévastées par les combats, les bâtiments en dur et les toits en bardeaux ont été privilégiés.

La communauté paroissiale se ressoude

La consolidation de la maison et celle des communautés paroissiales vont de pair. Elles ne peuvent survivre et perdurer face aux difficultés et aux dangers qu’en se serrant les coudes.
Pour reconstruire et se protéger, elles n’ont pas le choix. La protection des puissants est incertaine, les crises fréquentes, elles doivent surtout compter sur elles-mêmes. La solidarité du groupe est vitale.

Les anciennes règles, toujours vivantes, ont fait leurs preuves et donnent une assise sociale et juridique à leur cadre de vie. La Coutume protège et renforce les solidarités.
Les communautés ont survécu aux catastrophes qui les ont frappées ; à la fin du siècle, elles ont déjà commencé à rebondir. Au prix de quelques adaptations, elles sont prêtes à affronter des temps nouveaux.

La communauté de vallée résiste

Les guerres favorisent toujours les pillages. L’une des richesses essentielles des populations de la vallée, les troupeaux, en était la cible la plus courante. L’exemple de Montory évoqué ci-dessus et bien d’autres le confirment. Les troupeaux, aisément repérables et transportables, car ils se déplaçaient tout seuls, faciles à négocier pour la vente ou à tuer pour nourrir les troupes, étaient des proies commodes pour les soudards qui pillaient le pays, car leur circulation permanente vers les estives et les marchés le long des alxubide les rendait très vulnérables.
Pour les bandes armées qui ravageaient le pays, il était plus facile et plus rentable de prendre un troupeau que de prendre un château.

La motte castrale d’Idaux
J’avais toujours été intrigué par cette petite éminence rocheuse située en bordure de la rivière et entourée par deux prairies aux noms gascons insolites, « Castillon » et « Montalivet » qui évoquaient tous deux une position militaire. La situation de cette butte en faisait un excellent observatoire au pied des collines qui dominent le village. Dominique Ebrard l’a identifié comme motte castrale.
Pourquoi ces noms gascons ? Indiquent-ils des dates possibles de construction ? Guerres de la conquête de la Navarre ? Guerres de Religion ? 

L’époque suivante se met en place

La noblesse souletine, sans doute épuisée par ces luttes quasi permanentes, se remodèle vers la fin du siècle. Elle n’a jamais été très puissante, car composée de petits hobereaux plus ou moins apparentés, dominant difficilement la paroisse au sein de laquelle ils vivent le plus souvent très chichement.
Cependant, quelques grandes familles émergent. Les Gramont restent toujours influents en Soule ; toutefois l’essentiel de leur puissance est ailleurs. Leur pouvoir politique vient maintenant tout autant de leurs fonctions au service du Roi que de leur statut de Prince.
La famille de Luxe-Beaumont n’a pas retrouvé son lustre d’antan. Elle disparaît plus ou moins du paysage souletin, ses possessions sont éparpillées au sein de ses parents et alliés. Elle se tourne vers la Navarre, nouveau centre de gravité de sa puissance.

Enfin, et c’est peut-être là l’essentiel, une vigoureuse poussée démographique que Manex Goyhenetche fait débuter dès le milieu du XVe siècle se poursuivra durant tout le XVIe. « Entre le milieu du XVe siècle et le milieu du XVIe siècle, la Soule a connu une augmentation de population de l’ordre de 195 %. »
Cette explosion démographique va relancer l’expansion des deux siècles suivants et poser des problèmes qui modifieront les conditions de la vie politique, économique et sociale de la vallée.


La redistribution des cartes au XVIIe siècle

Quelques notes éparses sur la période.

Les hiérarchies sociales vont subir des évolutions notables par l’effacement de quelques lignées et la montée en puissance de certaines branches de familles nobles, ainsi que celle d’une bourgeoisie et d’une noblesse de robe.

Les relations avec le Béarn s’intensifient, car les carrières se font à Pau, au Parlement de Navarre. Puissance, honneurs et fortune s’acquièrent maintenant en Soule par la robe et non par l’épée. Les carrières militaires se déroulent loin du pays, au service du prince. Associées au service de Cour, elles peuvent cependant rapporter gros et assurer des ascensions sociales très rapides.

Et il y a bien sûr, comme toujours, cet éternel jeu de bascule qui a permis à la Soule de garder son originalité et son autonomie face à des voisins beaucoup plus puissants qu’elle. Ceux-ci ne sont plus les mêmes ; la Navarre a politiquement disparu du décor souletin pendant que, à côté ou en face du Béarn qui garde son influence, la royauté étend son pouvoir.

Le capitaine châtelain est l’agent du roi, le jurat n’est plus l’homme du seigneur titulaire de la juridiction, il est devenu surtout le collecteur des impôts royaux.

Les communautés paroissiales sont puissantes, mais les premières difficultés surgissent du fait de l’inadaptation du système traditionnel aux nécessités de l’agriculture et aux besoins de la population. Elles sauront faire preuve d’imagination pour s’adapter aux conditions nouvelles tout en préservant l’essentiel. Il est vrai que les révoltes antifiscales qui culmineront avec l’aventure de Matalas vont être un puissant facteur d’union face à l’inventivité fiscale d’une royauté aux abois et aux exigences des seigneurs tentés par une néo féodalisation à laquelle les communautés résistent au besoin par la violence quand les chicanes procédurières ne suffisent pas.

Château de Mayrie d'Andurain

©Mathilde Bétachet

L’Église connaît une véritable renaissance en Soule après les orages du siècle précédent. Sous l’impulsion d’évêques remarquables, la formation du clergé et la discipline ecclésiastique progressent ; le curé reprend la paroisse en main. Les églises sont reconstruites, remodelées et décorées, elles redeviennent le centre de la vie communautaire.

L’encadrement politique change. Les Parlements et la royauté pèsent de plus en plus sur les populations. L’église est le siège des communautés civiles et religieuses des paroisses. De là partent les décisions, les contestations et les révoltes, notamment fiscales. 


Le difficile XVIIIe siècle

Sous la pression démographique – déjà sensible dès la fin du XVIe siècle – la terre devient de plus en plus rare et ne peut plus nourrir tout le monde. « En fait, de nombreux indices permettent de penser que la phase décisive de la croissance démographique dans la région pyrénéenne dut se situer dans la seconde moitié du XVIIIe siècle[Soulet, les Pyrénées au XIXe siècle]. » Un courant d’émigration vers l’Espagne qui se prolonge parfois par une deuxième étape vers l’Amérique du Sud est souvent la seule possibilité offerte aux cadets réduits à la misère. Il ne reste plus assez de terres à affiéver par le seigneur pour créer des bordes ; les vieilles maisons ont verrouillé le système pour sauver l’Etxe. Ces tensions mettent parfois en péril la cohésion même de la communauté.

Les communautés et les représentants de la royauté sont d’accord sur un certain nombre d’objectifs et en particulier sur le désenclavement des villages par la construction et l’amélioration des routes, mais divergent sur les méthodes et les moyens.
Mais d’un autre côté, la royauté est réticente à l’égard du partage. « L’administration craint que les communautés qui éprouvent des difficultés financières ne tombent à la merci de leur seigneur ; or la monarchie tient à endiguer le pouvoir seigneurial[1]. »

En outre, au vu de l’expérience anglaise, elle craint que les plus pauvres ne soient obligés de tout quitter et de s’entasser dans les villes ; elle préfère les maintenir à la campagne par l’attribution de la jouissance d’une parcelle et conserver la propriété collective. Les agents du roi réagissent au cas par cas en fonction des situations particulières.

À la veille de la Révolution, les maisons ont accru leur puissance, les communautés sont toujours bien vivantes, mais moins solidaires, sauf quand elles se protègent des laissés pour compte (cadets, journaliers, etc.) qui ont du mal à survivre et constituent donc pour elles une menace.


[1] A. Edda O. Samudio, Les propriétés collectives face aux attaques libérales (1750-1914) Europe occidentale et Amérique latine. (139)


Communautés souletines tome 1 Des origines à la révolution

Pour les curieux … vous trouverez dans le livre


D’autres détails sur tous les points de ce chapitre.
Je n’ai fait que survoler ici des points que j’ai détaillé davantage dans le livre, en particulier sur le difficile XVIe siècle.
De même, je ne donne pas ici les exemples de difficultés internes et externes des communautés, le problème de la survie des cadets, de la veente des communaux etc.