L’Etxe, personne morale et unité économique, rôle et évolutions

© Michel Vergez


Etxea :l’unité de base de la communauté

L’Etxe est une personne morale chargée de gérer une entité économique et la communauté qui en dépend.

La maisonnée (Etxenkoak) est l’ensemble des habitants de la maison dirigée par la coseigneurie des deux générations d’Etxekojaun et Etxekandere. Elle peut comprendre, en dehors des enfants du couple, des oncles ou des tantes célibataires (Etxekoseme ou Etxekoalaba) et des domestiques parfois intégrés totalement à la famille. Toute la maisonnée travaille pour l’Etxe dont elle doit assurer la permanence et si possible la prospérité. L’Etxekojaun n’en est pas propriétaire, il est fait pour elle et donc à son service.

La maison prime le sang. Un couple sans enfant peut désigner un héritier (primützea) ; le choix se fait généralement, mais pas obligatoirement, dans la parentèle (Etxekoak)[Etchegoyhen, « Etxea eta Etxenkoak »].


Constructions d’origine et évolutions

Nous ne savons rien de la plupart des bâtiments antérieurs à la fin du XVIe siècle. Seules les églises et quelques maisons seigneuriales étaient construites en dur.
Avant les profondes transformations subies au cours du XVIIIe siècle, les maisons souletines étaient très différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. Elles ne comportaient pas d’étable, car la plupart des animaux étaient parqués à l’extérieur
[Etchegoyhen, Mémoires souletines T1 Villages de la vallée.].

ferme-premiere-epoque

© Philippe Etchegoyhen

Coincée sur un terrain étroit, elle n’a pas pu évoluer comme les autres par adjonction de bâtiments mitoyens au XVIIIe siècle et a gardé son état initial.

Maison Etxandia d’Idaux avant sa démolition

Avant les profondes transformations subies au cours du XVIIIe siècle, les maisons souletines étaient très différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. Elles ne comportaient pas d’étable, car la plupart des animaux étaient parqués à l’extérieur.
Le bâtiment construit au cours de cette période ne comportait qu’un seul corps rectangulaire dont les dimensions étaient généralement de 12 par 6.


Les nouvelles fermes souletines

Vers le milieu du XVIIIe siècle, plusieurs éléments vont conduire à une profonde transformation de la maison souletine.
On construit des étables pour les vaches qui, jusque là, restaient dans la cour (Barrioa).

La culture du maïs se développe et entraîne le développement des elge ; ces nouvelles ressources vont donner aux maisons les moyens de construire des bâtiments supplémentaires. Le phénomène est spectaculaire et bien visible dans les villages de la vallée du gave.
Les matériaux nécessaires étaient abondants : galets, graviers et sable au bord du gave, bois de construction sur les collines et la main-d’œuvre ne manquait pas au XVIIIe siècle. Il fallait aussi prévoir une aire de battage pour le blé et des espaces de stockage importants pour tous les grains. Les etxe avaient de nouveaux besoins et les moyens d’y faire face.

On considère généralement que la ferme souletine est calquée sur le modèle de la maison béarnaise. Il existe cependant quelques différences. La maison béarnaise est tournée vers l’intérieur. La cour intérieure est entièrement fermée par des bâtiments qui l’entourent et par un haut mur percé par une grande porte-cochère qui forme une belle façade du côté rue ; le Béarnais protège son intimité et soigne son image.

Façade maison souletine et basakurt

© Philippe Etchegoyhen

Le Souletin s’affiche
Grande Porte béarnaise et haut mur

© Philippe Etchegoyhen

Le Béarnais se cache

L’etxe souletine tourne généralement sa façade vers la rue dont elle est séparée chaque fois que c’est possible par une petite cour à laquelle les animaux n’ont pas accès (Basakurt) ; c’est la vitrine particulièrement soignée de la maison (Etchegoyhen 2011).

L’accès des etxe aux terres communes

L’accès des bêtes aux terres communes est un droit qui ne souffre d’aucune exception. Il existe des parcelles attribuées aux maisons pour le soutrage, mais elles doivent rester ouvertes et accessibles dans la plupart des cas. L’interdiction de clore est souvent explicitement signalée.
Une autre catégorie de terres collectives, particulièrement importante, sera étudiée plus tard. Ce sont les elge (champs communs). L’accès aux estives appartenant à toute la vallée, obéit à des règles particulières qui seront, elles aussi, détaillées plus loin.

L’etxe, les voisins et la parentèle

« Aüzoen beharra badügü, askazien beno üsüago » (nous avons plus souvent besoin des voisins que des cousins). Cet adage souligne l’importance des réseaux de voisinage dans la vie de l’Etxe. Outre leur fonction de régulation des besoins de main-d’œuvre occasionnelle, les voisins jouent un rôle essentiel dans les relations sociales internes de la paroisse.

Sandra Ott a étudié en détail ces relations de voisinage à Sainte-Engrâce ; les hiérarchies étaient très marquées et en particulier la position du premier voisin. L’ordre de transmission du pain bénit et le circuit de la batteuse étaient définis par ces relations. Elles sont extrêmement ritualisées dans les villages et hameaux où les fermes sont dispersées, elles sont plus informelles dans les noyaux groupés de maisons de la vallée du gave.

Cependant, lors d’événements familiaux importants et, plus particulièrement en cas de décès, le rôle des voisins est resté primordial dans toute la Soule ; ils prennent toutes les tâches matérielles de la maison en charge jusqu’aux obsèques et laissent la famille faire son deuil. Ils veillent le mort, préparent les repas de la maisonnée, s’occupent des bêtes, creusent la tombe, avertissent les parents habitant hors du village (hil mezü), etc. Le premier voisin ouvre le cortège funéraire et porte la croix.

Le chemin des morts
Chaque maison avait un itinéraire bien défini appelé zürrünpide qui allait de l’etxe au cimetière. Le corps du défunt devait obligatoirement l’emprunter le jour de l’enterrement.
Cette coutume s’est maintenue très longtemps ; elle reste dans la mémoire des gens dans les hameaux lointains, car il s’agissait du chemin le plus court.
On n’en parlait jamais au temps de mon enfance dans mon petit village groupé de la vallée.
Le chemin le plus court était évident et empruntait uniquement le domaine public. Il n’y avait donc pas de raison de le sacraliser.
Les corps étaient transportés à dos d’hommes dans des civières sommaires (Hagak) par des équipes de voisins qui se relayaient.
Il en était de même pour les malades grabataires que l’on conduisait à l’hôpital. 


L’etxe : personne morale et entité économique

L’unité permanence de base de la communauté

C’est l’unité de base de la communauté. Les biens n’appartiennent pas à un individu, mais à la maison qui, elle, ne meurt jamais. L’héritier lui-même n’en est pas le propriétaire, il en est seulement le dépositaire et l’un des usufruitiers. S’il entre dans une maison par mariage, il perd son identité d’origine et prend celle de son nouveau domaine.

Les responsables de la maison et les biens avitins

L’etxe est confiée à l’héritier ou à l’héritière et à son conjoint. Ils en sont responsables et non propriétaires ; ils sont au service de la maison (Etxenko eginik). Ils exercent leur autorité dans le cadre d’une coseigneurie avec les parents de l’héritier(e). Il est même prévu qu’en cas de mésentente entre les deux ménages, l’usufruit de la propriété puisse être divisé en deux parties ; l’unité de la maison est ainsi préservée, car, quand l’un des deux couples a disparu, l’Etxe est réunifiée.

Maisonnée et parentèle

Une première distinction doit être faite entre Etxenkoak – ceux qui vivent dans la maison – et Etxekoak – ceux qui en sont issus, qu’ils y habitent encore ou qu’ils l’aient quittée.

La maison prime sur le sangcomme nous l’avons déjà vu. Si un couple n’a pas d’héritier, il peut en adopter un (Primütü). Bien que le choix se fasse généralement dans la parentèle, ce n’est pas une obligation. L’essentiel est que la chaîne de transmission de la maison ne se brise pas.

La Coutume prévoit pour les cadets, comme le droit romain, l’attribution d’une part de l’héritage appelée légitime. Anne Zink précise que les fonctions de la légitime sont différentes dans les deux cas. « La légitime romaine est un plancher qui protège le lot des enfants ; la légitime coutumière est un plafond qui protège la maison ».


Droits et devoirs du maître de maison

Ils doivent tout faire pour sauvegarder les intérêts de l’etxe qui leur a été confiée. Ils prennent (en accord avec l’autre couple de la coseigneurie) toutes les décisions destinées à maintenir et si possible à augmenter son patrimoine et sa position.

L’Etxekojaun[1] représente la maison auprès de toutes les communautés auxquelles elle appartient (paroisse, cayolar, etc.), participe à leurs délibérations et, éventuellement, reçoit la charge de les défendre face à des organismes extérieurs. Il peut être syndic, jurat, marguillier etc.


[1] Quel était le rôle de l’Etxekandere ? C’est son mari qui représentait l’Etxe, mais elle devait sans doute jouer un rôle plus important que son rôle officiel, surtout si elle était l’héritière de la maison. L’Etxekandere avait peut-être un rôle limité, mais l’héritière gardait une place importante dans les décisions.

Les maîtres ont autorité sur toute la maisonnée et organisent la vie quotidienne de l’etxe. Ils prennent toutes les décisions dans le cadre et dans les limites fixées par la Coutume.

Ils ne doivent jamais perdre de vue les préoccupations essentielles et permanentes :

1°) Avoir assez de bras pour faire face aux besoins sans avoir trop de bouches à nourrir. Les régulations se font en permanence par divers procédés (voisins, embauche de domestiques, placement des enfants dans d’autres maisons, création de métairies.

2°) Renforcer et étendre le réseau des alliances de l’etxe. Le mariage des cadets avec des héritiers (ou héritières) est l’un des moyens les plus efficaces pour atteindre cet objectif à condition que l’on puisse fournir les dots. La plupart des maisons naviguent à vue aux limites de leur capacité d’endettement.

3°) S’occuper des cadets qui n’ont pas pu se marier avec une héritière. Il faut leur assurer le petit pécule prévu par la Coutume ou les cantonner dans la situation d’Etxekoseme, célibataires fournissant une main-d’œuvre gratuite, mais pas toujours facile à gérer.

4°) Préparer la génération suivante. La recherche du conjoint revêt une importance capitale ; toute erreur dans ce domaine peut mettre en jeu le rang ou même l’existence de la maison.

Stratégies matrimoniales

Mariage d’amour.
Une histoire racontée par Jean-Michel Bedaxagar.
Un jeune homme vient voir son copain marié depuis peu dans une maison de Haute-Soule.
Déçu par cette triste ferme, il lui dit « Un beau garçon et bon danseur comme toi aurait pu se marier dans une plus belle maison ! »
« Si tu avais vu ma femme toute nue, tu n’aurais pas regardé la maison ! »
Le bel okolü.
J’avais raconté dans le tome 1 des mémoires souletines, l’histoire de ce jeune homme cherchant à se marier dans une ferme à son goût, possédant en particulier un bel okolü. Il attaquait dès le début de la danse en questionnant sa cavalière sur les dimensions de cette prairie attenante à la maison de l’héritière. Les filles s’étaient donné le mot et le faisaient marcher pendant toute la danse.
Un jeune homme, qui avait offert le livre à sa grand-mère, m’a raconté qu’il s’étonna de la voir pliée de rire lors de la lecture de ce passage. C’était l’une des cavalières qui l’avaient fait allègrement marcher en lui décrivant leur bel okolü.
La jeune épouse vue par son beau-père
« Ez düzü ez Etxekandere gaztea ejer ejer, bena ez dizü inporta. Laneko dizügü » (elle n’est pas très belle, mais ça ne fait rien. On l’a prise pour le travail.)

  « On ne se marie pas au hasard. […] Chacun sait où il se situe et à quoi il peut prétendre normalement. La recherche se fait dans les maisons de même niveau ou de niveau supérieur. On ne se résigne à la mésalliance que si l’héritière ou l’héritier n’est vraiment pas présentable ou a mauvaise réputation[Etchegoyhen, Etxea eta Etxenkoak. (Article BMB 177 2011)]. »


Communautés souletines tome 1 Des origines à la révolution

Pour les curieux … vous trouverez dans le livre


D’autres détails sur tous les points de ce chapitre.
* La vie quotidienne dans les etxe.
* Détails sur le fonctionnement de l’etxe.
* L’évolution détaillée des bâtiments de la ferme souletine etc.