L’Etxe et les communautés paroissiales auxquelles elle était rattachée
©Mathilde Bétachet
Herria : Communautés paroissiales
Quelques notes rapides sur le chapitre qui donne son titre au livre : les communautés.
Comme dans tous les pays d’Etats[1] ayant à administrer des terres communes et plus particulièrement les vallées pyrénéennes dont le socle de base est la maison, les paroisses souletines se regroupent en plusieurs collectivités qui ne se recouvrent pas exactement dans leur composition et surtout dans leurs objectifs.
[1] Province du royaume ayant conservé une assemblée représentative chargée de diverses responsabilités et en particulier d’un pouvoir de négociation face à l’administration fiscale.
La communauté paroissiale « civile »
Elle est chargée de gérer les communaux et de régler tous les problèmes matériels du groupe. Chaque maison y est représentée et participe aux débats. Au XVIIe et au début du XVIIIe siècle, elle désigne ses représentants auprès des États de Soule et leur donne un mandat impératif pour chacune des décisions qui y seront votées.
Elle a en charge le porche de l’église, le clocher, le presbytère et les cloches, ce qui n’est pas sans créer des conflits avec le curé.
La communauté paroissiale religieuse
Elle est constituée par toutes les maisons rattachées à l’église et surtout au cimetière. Dans sa composition, elle peut être différente de la collectivité paroissiale civile dont certaines maisons peuvent être membres d’une autre paroisse du point de vue religieux.
La communauté religieuse de la paroisse est en charge de l’entretien de la nef de l’église et du presbytère.
« Presbytère et nef ne sont ni des édifices civils qui seraient à la charge de la communauté des habitants ni des édifices religieux qui seraient à ce titre à la charge des décimateurs ou de la communauté cultuelle ». Relevée par Anne Zink pour le Sud des Landes, cette règle vaut aussi pour la Soule.

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Les communautés fiscales
Tout d’abord nous avons le décimaire, c’est-à-dire le territoire qui regroupe la collectivité soumise à la dîme de son église. Généralisé, comme nous l’avons vu, à l’époque de Charlemagne, ce prélèvement a été le plus souvent confisqué par des seigneuries laïques ou religieuses qui le recouvrent pour leur propre compte. Les décimateurs ont à leur charge les salaires du curé desservant et ceux du ou des vicaires rattachés à la paroisse ainsi que l’entretien de la partie de l’église qui abrite l’autel. Il n’en reste pas moins que la part de dîme consacrée à ces frais est minime par rapport au total recouvré.
La Soule est un pays d’État ; l’impôt est réparti entre les paroisses proportionnellement au nombre de feux, décompte théorique qui tient plus ou moins compte du potentiel fiscal de la communauté.
L’impôt royal, ou plutôt les impôts royaux qui se sont empilés pour répondre aux besoins d’une royauté toujours désargentée sont répartis entre les paroisses ; celles-ci doivent désigner un responsable solvable chargé de leur recouvrement qu’il garantit sur ses propres biens.
les communautés et les espaces juridiques
Les communautés juridiques sont à géométrie variable. Cependant l’etxe appartient toujours à une juridiction c’est-à-dire une communauté de justiciables qui dépendent d’un même seigneur justicier.
La Cour de Licharre jugeait en première instance et en appel des Cours seigneuriales.
L’individu, la maison et la communauté
L’individu ne compte pas en tant que tel, il trouve sa place dans la communauté à travers son appartenance à une maison ; elle seule compte socialement, car elle ne meurt jamais. Toute maison est impliquée plus particulièrement dans certaines communautés
Hiérarchies sociales et communautés
Il ne faut surtout pas imaginer les communautés souletines comme des sociétés égalitaires vivant en harmonie dans une organisation idyllique. Chaque maison devait défendre ses intérêts, car la plupart d’entre elles survivaient difficilement dans la crainte permanente de la famine ou de la déchéance. Pettiri Sanz (la famine)rôdait en permanence dans la vallée.
On peut s’enrichir dans le commerce comme Jean du Peyrer, mais la puissance ne s’obtient que par le prince. Le marchand de laine oloronais a obtenu la noblesse par l’argent, en achetant une maison noble à Trois-Villes, son fils va acquérir la puissance politique par sa proximité avec le pouvoir royal.

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Marginaux et exclus
Toute société produit des marginaux, toute société a ses exclus. Comment maintenir la cohésion du groupe si on ne fixe pas ses frontières ? Les communautés de maisons sont des milieux fermés qui se définissent aussi en creux par la désignation des exclus.
Tout habitat n’est pas un etxe. Les granges isolées et les etxano (petites maisons construites près des bordes éloignées ou extensions annexées à l’etxe) accueillaient de façon temporaire ou définitive ces marginaux qui constituaient une réserve de main-d’œuvre pour la maison.
Les bohémiens, installés en Soule à la fin du XVe siècle, formaient un groupe vivant en marge de la paroisse et des lois ; particulièrement mal vus par les populations et l’administration, ils n’en jouaient pas moins un rôle dans la vie communautaire.
Les cagots étaient particulièrement visés par les exclusions. Contrairement aux bohémiens, ils ont été victimes d’un véritable racisme de la part des populations. Ils souillaient les aliments et ne pouvaient donc pas toucher l’eau ou la nourriture des « vrais » Souletins ; ils avaient leurs propres sources, leur bénitier à l’église et ils étaient exclus de tous les métiers de l’alimentaire.
L’église et le cimetière, miroirs des communautés
L’emplacement du jarlekü où l’etxekandere a installé sa chaise dans l’église est immuable. Celle-ci est marquée de ses initiales ; pour les vieilles maisons, cet emplacement correspond à celui des anciennes tombes de l’etxe dont l’etxekandere était la gardienne.
Les préséances s’affichaient surtout lors des processions et de la communion. Le rang de chacun s’exhibait – et éventuellement se revendiquait – à ces moments-là. L’ordre de passage suivait celui des hiérarchies et toute transgression de cette règle était considérée comme une remise en cause de l’organisation de la paroisse. La justice devait trancher souvent dans des affaires de préséance et les contestations qui en découlaient ; ces querelles prenaient parfois une ampleur qui nous surprend aujourd’hui : quand il s’agissait de défendre l’honneur de l’etxe et sa place dans la communauté, on ne mégotait pas.
Chaque maison avait un emplacement réservé dans le cimetière

Eglise de Camou
L’église est divisée en trois zones distinctes :
L’autel est le domaine des responsables de la collectivité spirituelle (prêtre desservant, Conseil de Fabrique responsable de sa gestion, grands décimateurs).
Le porche et le clocher sont le domaine de la communauté civile. C’est sous celui-ci que se tiennent ses réunions. Il peut servir de salle de classe, ce qui est commode, car le régent (maître d’école) remplit souvent des fonctions annexes (chantre, etc.) dans l’église.
Le cimetière est, lui aussi, objet de concurrence. Après le concile de Trente (XVIe siècle), l’église a obtenu qu’il soit clôturé et réservé au culte contrôlé des morts, ce qui n’était pas le cas jusque-là. La clôture des cimetières marque la prise en main de ce contrôle par les autorités religieuses. C’est aussi le temps où on a cessé d’enterrer les morts dans la nef pour d’évidentes raisons d’hygiène.
Remarques
Herria, cette constellation de maisons, est intégrée à tout un ensemble de collectivités regroupées par fonction : gestion des biens communs, activités religieuses et spirituelles, fiscalité, domaine juridique, etc. La plupart des maisons sont rattachées aux mêmes communautés, mais des exceptions existent.
Marginaux et exclus habitaient la paroisse, mais, n’étant pas rattachés à des etxe, ils n’en étaient pas membres tout en lui appartenant. Ils pouvaient même en être rejetés s’ils représentaient un danger pour les maisons.
Les communautés ont résisté aux difficultés internes et externes qui les menaçaient par la limitation, l’exclusion, les inégalités et les hiérarchies bien établies.

Pour les curieux … vous trouverez dans le livre…
D’autres détails sur tous les points de ce chapitre.
* Utilisation des cloches et conflits.
* Assemblées paroissiales.
* Autres communautés : religieuse, fiscale etc.
* Structures juridiques : quelques notes.
* Les marginaux : eremüts, bohémiens, cagots etc.
* Hiérarchies internes aux communautés.